Explorer le potentiel de la panification allemande

La tradition allemande est celle d’une panification au levain pur seigle, qui exige une grande rigueur dans la maîtrise des fermentations.

L’école germanique, basée sur une utilisation importante de farine de seigle, de graines trempées, voire de levains acides, offre des possibilités créatives pour enrichir sa pratique et susciter la curiosité de la clientèle, qui s’intéresse aussi à ces pains à la mie plus dense.

Oberlander, kaiserbrötchen, laugenbrötchen, sechskornbrot, schwarzbrot*… Saviez-vous qu’outre-Rhin il existe plus de trois mille sortes de pains différents, selon l’Institut allemand du pain** ? Et qu’en Allemagne, le pain est inscrit au patrimoine immatériel à l’Unesco depuis 2014 ? Le pays dispose en effet d’une importante culture en matière de panification, avec des particularismes assez marqués selon les régions. Une tradition du pain à part entière, qui s’exprime aujourd’hui par un renouveau des boulangeries traditionnelles sur le territoire, premier à mettre sur pied une formation de sommelier du pain.

Cette richesse en matière de panification est également poussée chez les consommateurs. Les Allemands sont les plus gros mangeurs de pain d’Europe de l’Ouest, avec une consommation moyenne de 56,9 kg par an et par habitant, selon les chiffres de 2021 de l’étude Allemagne - Analyse des chaînes de valeur commerciales, diffusée par Business France***. Des données de 2000 font même état d’une consommation de produits de boulangerie de 85 kg/habitant, selon l’Association des moulins allemands****.

Le geste de boulage est différent en panification à l’Allemande. (© annette_plasaL. GERBOIN)

« En Allemagne il y a une culture particulière du pain avec notamment le brotzeit [“collation” en allemand, ou l’Abendbrott, le “dîner”, NDLR], qui consiste en un repas froid le soir accompagné systématiquement de pain et de charcuterie. Le pain est ici le constituant même du plat principal alors qu’en France, il s’agit d’un accompagnement. C’est une culture complètement différente », pousse Ludovic Gerboin, boulanger et formateur français d’origine, qui travaille en Allemagne depuis 2000. Après avoir ouvert trois magasins dans le Sud du pays et passé son brevet de maîtrise en boulangerie allemand, aujourd’hui, il se consacre pour partie à la formation aux boulanges allemande et française.

Nouvel univers

« La panification allemande a un recours important à la farine de seigle. Elle utilise beaucoup d’eau, avec des graines trempées et des épices. C’est une panification de pâtes qui collent beaucoup, décrit Ludovic Gerboin. On ne cherche pas à obtenir un beau réseau de gluten. La notion même du geste de boulage est complètement différente : on ne boule pas, on fait simplement un rabat. Il n’y a pas de force dans la pâte. C’est une habitude à prendre, poursuit-il. Alors que j’étais fraîchement diplômé d'un CAP de boulangerie français, je me suis vraiment demandé ce que je faisais là. Il fallait que j’adapte ma technique et j’avais l’impression de faire n’importe quoi. Mais petit à petit je me suis adapté dans ma pratique ainsi que dans mes goûts. En effet, la panification allemande produit des pains qui nous semblent, à nous Français, souvent très compacts. Mais assez rapidement, on y prend plaisir. On touche vraiment d’autres sensations. C’est un autre univers, avec de nouvelles possibilités qui s’offrent à nous. »

Levains de seigle

La tradition allemande est également de travailler avec des levains de seigle, pour des pains parfois 100 % seigle qui ont beaucoup de succès outre-Rhin. « Ils font alors un levain en trois étapes afin de développer les acides, avec un mélange de fermentations acétique et lactique, détaille Ludovic. On démarre avec un tout petit levain en fermentation longue. Pour les rafraîchis suivants, on augmente la part de levain et la température en raccourcissant le temps de fermentation qui n’est plus que de trois heures pour le dernier rafraîchi avant la panification. »

Dans la tradition allemande des levains de seigle, il est de coutume de viser volontairement un niveau d’acidité assez fort. « Il s’agit d’assurer un niveau d’acidité tel que l’activité enzymatique du seigle soit freinée. Certains prétendent même que l’on ne peut pas cuire un pain pur seigle à forte activité enzymatique s’il n’est pas acidifié par le levain. En effet, on s’expose à la destruction du réseau et à un affaissement de la pâte en une masse compacte, ainsi qu'à des problèmes de caverne sous croûte. Il est d’usage de viser un pH de 4 maximum en fermentation pur seigle », indique le chercheur et boulanger Marc Dewalque, auteur du livre Levains.

La tradition allemande est celle d’une panification au levain pur seigle, qui exige une grande rigueur dans la maîtrise des fermentations. (© L. GERBOIN)

Dans son ouvrage, il décrit notamment la pratique d’incorporation de levains vieux d’une semaine — wochensauer, en allemanddans les pâtes, dans le seul but d’apporter de l’acidité. Ces levains sont tellement acides, qu’au niveau microbiologique ils ne comportent parfois plus du tout de levures mais seulement des bactéries lactiques et acétiques.

Nouvelle école du seigle

Cette forte activité enzymatique du seigle serait liée à des problèmes notamment de germination sur pied avant récolte. Ainsi, « ce qui était une règle il y a encore quinze ou vingt ans avec le seigle ne se vérifie plus, affirme Ludovic Gerboin. Aujourd’hui, les farines se sont nettement améliorées sur ce point et nous ne sommes plus du tout obligés de monter en acidité en panification cent pour cent seigle. Il est tout à fait possiblé d'obtenir des fermentations beaucoup plus légères, ce qui plaît aux consommateurs. On travaille ainsi beaucoup à la levure avec du psyllium pour obtenir des pains plus hydratés et moins compacts, avec une mie plus aérée ».

Le boulanger reconnaît cependant que les levains de seigle sont plus délicats à mener que les levains de blé (école française), qui offrent une plus grande marge de manœuvre. Il en conclut que les boulangeries de grande taille sont un peu avantagées pour travailler les levains de seigle, car elles ont la capacité financière de s’équiper et d’amortir le coût des machines à levain. « C’est alors beaucoup plus facile pour elles de maîtriser la qualité de leurs produits, en automatisant et en sécurisant le process du levain ainsi que le contrôle des fermentations, notamment lorsque la météo est changeante », constate-t-il.

Une astuce découverte en Allemagne par Ludovic pour conserver le levain est de produire une poudre de levain avec de la farine et de l’eau à 50/50, en frottant le mélange entre les mains. Cette poudre se conserve au réfrigérateur pendant plusieurs semaines.

Graines trempées

Les Allemands travaillent aussi beaucoup avec des graines entières trempées, voire fermentées. Il s’agit, par exemple, de mettre à fermenter des flocons d’épeautre ou d’avoine en mélange avec une portion de levain souche. D’autres procédés consistent à produire un porridge en faisant gélatiniser l’amidon à l'aide de flocons et d’eau bouillante pour former une bouillie que l’on mélange à la pâte.

« Il est fréquent d’y ajouter du miel. Par ailleurs, lorsque l’on met en fermentation des graines entières, l’astuce est d’ajouter un peu de sel. Cela évite les mauvaises fermentations, assure Ludovic Gerboin. Il y a aussi tout un dosage à trouver entre la quantité de graines et de levain pour ne pas avoir un pain trop serré. La panification allemande repose sur ces grands principes d’équilibre, ajoute-t-il. Une fois qu'ils sont maîtrisés, c’est gagné, car on peut ensuite les reprendre à son compte pour inventer d’autres recettes. Connaissant aujourd’hui les deux techniques de panification, je ne distingue plus du tout ce qui est français de ce qui est allemand. Je ne vois plus que les possibilités créatives. »

* Respectivement : pain compact à base de seigle, petit pain de l'empereur, rouleaux de bretzels, pain aux six céréales, pain noir.

** www.brotinstitut.de

*** France AgriMer, Business France. Allemagne – Analyse des chaînes de valeur commerciales. Avril 2022.

**** Verband Deutscher Mülhen. Unser Brotgetreide-ABC; 2023. Parution en allemand.

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